Business et technologie
Une des interrogations classiques des managers concerne l’éventuelle in capacité des informaticiens à intervenir sur des domaines plus généraux que la technologie informatique : un informaticien est-il à même de se sortir de la technique ? Pour moi les choses ne se présentent pas de cette façon, car je n’ai jamais réduit ma vision par la technique, je l'ai élargie ! En fait j’ai d’abord été intéressé par la technique comme phénomène sociologique, avant d’y découvrir aussi un jeu intellectuel stimulant et, avec le temps et l’expérience, ma plus grande joie est de positionner et mettre en œuvre des utilisations judicieuses de la technologie pour les activités humaines, judicieuses en terme de services rendus, de coûts (efficacité financière), de souplesse d’organisation … et il va de soi que ceci n’est possible que si l’on comprend à la fois les enjeux des activités humaines en question et les possibilités de la technique. Pour moi une des pires tendances est de considérer la technologie comme un domaine séparé, spécialisé, à part, comme une boite noire opaque dont le management dicte les entrées et les sorties et dont la mise en œuvre est réservée à des spécialistes, plus où moins impénétrables dont on ne s’attend pas à ce qu’ils comprennent les enjeux stratégiques de l’entreprise. Déja, si on prétend piloter le système d'information comme une boite noire, encore faut-il en connaitre les paramètres de contrôles, identifier les entrées nécessaires, les sorties possibles ... D'autre part, presque tous les problèmes de gestion d’entreprise sont des problèmes liés à la gestion d’information et les moyens de gestion de cette information sont étroitement liés à la technologie dite "informatique". Cela signifie, entre autre, que les choix soi-disant technologiques vont influencer directement le point de vue de l'entreprise, sur son environnement, sur la connaissance de ses clients, la plus ou moins grande emprise sur son marché, sa capacité ou non à répondre au changement, en terme d’organisation, de coût, de délais … Je suis persuadé que la façon dont l’entreprise utilise les technologies de traitements de l’information a une influence sur son positionnement stratégique, cette influence est indubitablement déjà considérable dans certains secteurs comme les services et elle prend de plus en plus d’importance dans tous les autres secteurs économiques. Ce qu’il faut bien saisir ici, c’est que, contrairement à ce que l’on peut croire, les choix technologiques ne sont pas du tout neutres vis-à-vis de l'identité et de la stratégie de l’entreprise, car la mise en œuvre d’une technologie va avoir toutes sortes d’implications, de conséquences subtiles, d’impacts de toutes sortes sur le positionnement fin de l’entreprise et sur son identité. Ces conséquences ne sont généralement pas même perçues au moment du choix de telle ou telle “ solution ” informatique au niveau management et c’est à ce moment qu’un informaticien conscient d’une part, du positionnement et de la stratégie de son entreprise et, d’autre part doté d’une culture technologique à jour devrait être à même de pointer les conséquences pour le positionnement induites par les technologies sous-jacentes aux solutions envisagées par le management. Or, à ce niveau de la décision on trouve en général, un manager sans grande culture technologique d’une part, un responsable informatique non impliqué dans la stratégie de l’entreprise ou pas de responsable informatique du tout, d’autre part. Souvent donc, les managers ne se rendent pas compte des contraintes qu’ils font peser sur leur organisation lorsqu’ils font mettre en place un nouveau système informatique au sein de leur entreprise, ces rigidités latentes se révéleront à leur corps défendant le jour où ils devront infléchir leur organisation dans le sens des changements que leur dictera un nouveau comportement du marché, et les conduire à ce moment là, à sur estimer les capacités adaptatives de l’organisation et donc à sous estimer les délais et coûts nécessaires. Enfin, si le décalage devient trop grand, l’entreprise n’est plus capable du tout de s’adapter. Sur le terrain, de mon point de vue de consultant informatique, intervenant sur des grands projets, un des premiers symptômes de ce phénomène, c’est le manque d’implication des maîtrises d’ouvrage dans les projets qu’elles sont censées commanditer. Un autre symptôme est le fréquent désintérêt des responsables informatiques pour le core business et la stratégie de leur entreprise, avec le paradoxe de constater qu’un cadre responsable du quart, voire du tiers des volumes d’investissements de l’entreprise ne siège même pas au Comité de Direction (10 % des responsables informatiques en France siègerait au Comité de Direction, 50 % aux USA – d’après Gartner Group) Souvent donc, on se retrouve devant l’étrange situation où d’une part, les dirigeants considèrent l’informatique comme un domaine purement technique dont la gestion est confiée à des spécialistes techniques, dont on se plaint du manque d’intérêt pour la stratégie de l’entreprise et où d’autre part, les responsables informatiques se sentent mis à part de la vie normale de l’entreprise et n’ont plus qu’à se cantonner dans un rôle purement technique, déresponsabilisés vis-à-vis des buts économiques et stratégiques, frustrés et dépités. Notons que la situation est particulièrement perverse car elle a tendance à se renforcer, d’autant plus que les dirigeants possèdent une culture technologique faible et que les informaticiens se satisfont de l’écran de fumée technologique leur permettant à bon compte d’assumer un minimum de responsabilités tout en restant maître de leur “ chez soi ” technique, renvoyant ainsi l’image, à des managers trop heureux de le croire, que l’informatique est vraiment bien un domaine technique dans lequel ils ont mieux à faire qu’intervenir. Il est certain qu’une telle situation entraîne inévitablement des désajustements stratégiques importants. Les responsables informatiques, n’étant pas parties prenantes à la définition de la stratégie de l’entreprise, sont amenés à prendre des décisions en contradiction avec celle-ci, d’autant plus facilement et de façon inaperçue que les managers répugnent à considérer l’informatique autrement que comme un domaine de spécialistes. Ces désajustements peuvent même embrasser un secteur d’activité complet, compte tenu du mimétisme et de l’effet de mode qui règnent sur les comportements des managers, jusqu’à ce qu’une entreprise sortant du moule, brise le cercle vicieux et, par sa meilleure efficacité, acquiert un avantage concurrentiel et provoque une percée inattendue et spectaculaire sur le marché (Comme par exemple Wal Mart sur le marché de la grande distribution aux Etats Unis). Voilà, j’ai voulu tracer là un aspect, qui me paraît fondamental du contexte organisationnel au sein duquel on met en œuvre les technologies de traitement de l’information dans les entreprises. Si on me suit dans cette analyse, on comprend qu’il y aurait beaucoup à gagner à combiner véritablement les compétences des managers et des responsables informatiques au sein de l’entreprise (au lieu de les juxtaposer et de les isoler). L’enjeu me paraît particulièrement important à une époque où l’efficacité à traiter de l’information digitale est au cœur de la rentabilité - ou non - d’un nombre grandissant d’activités économiques. C’est l’opportunité pour des entreprises de prendre des positions inenvisageables il y a encore quelques années (il suffit de considérer le phénomène internet pour s’en persuader), à conditions qu’elles veuillent faire l’effort de reconsidérer leurs façons traditionnelles d’utiliser et de mettre en œuvre les nouvelles technologies de traitement de l’information, l’effort de penser directement leur stratégie en fonction des technologies et non pas en dépit d’elles, l’effort d’assimiler un niveau de culture technologique pertinent pour le business, l’effort de mettre en place un processus de décision enrichi passant par la communication de la stratégie et l’association des responsables informatiques … Voilà quelques éléments de ma vision de l’articulation technologie/business. C’est dans cet esprit que je souhaite œuvrer et c’est le lieu où je pense être à même d’avoir, à ce jour, la meilleure valeur ajoutée. Pascal Rodmacq - 25 mars 2006 |
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