Fable Informatique

Avertissement : J’ai écrit cette fable en janvier 1992,  je la reprend aujourd’hui, 02 septembre 1997, quasiment telle que mais je ne puis m’empêcher de la rapprocher du fait suivant : entre 1992 et 1996, les effectifs d’IBM sont passés, grossièrement,  de 380.000 à 120.000  personnes !

Le temps des forteresses - Saga

En fait, pendant longtemps, tout était simple et facile à comprendre. Chaque constructeur constituait une forteresse (petite ou grande) avec ses remparts, son donjon et son pont-levis par lequel les clients étaient invités à pénétrer.

A l’intérieur, les conditions d’hébergement étaient fixées une fois pour toutes, de la litière au lit à baldaquin, suivant ses moyens, et elles évoluaient lentement, à leur rythme, sans que les clients soient sensés imaginer avoir besoin de quelque chose d’autre que ce qu’on avait à leur proposer : le Seigneur des lieux pourvoyait au gîte et au couvert et les solides remparts du château garantissaient la sécurité.

De temps à autre, un client, monté sur les dits remparts, regardait avec envie une autre forteresse à l’horizon dont il avait entendu dire (par un troubadour) qu’on y servait une bonne soupe chaude tous les soirs devant une grande cheminée toujours allumée. Et parfois, poussé par la curiosité et l’envie, il sautait dans les douves, rejoignait tant bien que mal la rive à la nage et courrait vers la nouvelle forteresse de tous ses espoirs.

Edinburgh
Castle
Brillant
de tous
ses feux

Cette situation aurait pu durer très longtemps si, petit à petit, puis de plus en plus rapidement ne s’étaient mis à pousser sur la campagne comme des champignons, une foule de petites auberges accueillantes ne proposant dans un premier temps qu’un seul service puis se groupant pour former de véritables petits complexes hôteliers avec tout le confort souhaitable pour le client.

Ce dernier avait en outre tout loisir d’aller de l’un à l’autre, d’entrer et de sortir sans contrainte, de commander un solide repas à une auberge et de le faire livrer à la terrasse accueillante et ombragée d’une autre auberge à quelques lieues de là avant d’assister à un spectacle de marionnettes sur la place centrale et de rejoindre enfin l’ultime auberge de la journée pour y passer la nuit au calme.

Crown
and
Anchor
Hotel
Alléchant
non?

Toute cette agitation, aux pieds même des hautes murailles des diverses forteresses n’a pas manqué d’entraîner toutes sortes de conséquences en leurs enceintes.
D’abord, au début, le Seigneur ne daigna même pas porter le moindre intérêt à toute cette piétaille grouillante dans ses fragiles maisonnettes. Mais avant peu, il s’aperçût que, petit à petit, il y avait moins de clients pour passer son pont levis, un certain nombre s’attardant en route dans les différentes auberges. Il pensa alors qu’il s’agirait certainement de petits séjours plus ou moins prolongés, pour voir, après quoi, se rendant à la raison, le client finirait bien par passer le pont.

Mais plus le temps passait, plus le phénomène s’amplifiait, pire encore il s’aperçût que même parmi ses propres pensionnaires, certains se mettaient à faire le mur pour aller goûter telle ou telle friandise ou assister à un spectacle particulièrement alléchant. En général, ils rentraient au bercail  pour la nuit, cet univers nouveau leur faisant encore peur, d’autant que le Seigneur ne se privait pas de faire raconter, chaque soir à la veillée, par les meilleurs troubadours, d’horribles histoires de clients mystérieusement dévalisés et dépouillés de tout en sortant de telle ou telle auberge.

Malgré tout, inéluctablement, les recettes cessèrent de progresser puis se mirent même à décliner. Pour faire face à la situation certains Seigneurs copièrent les petites auberges de style nouveau et les implantèrent dans la cour même du château. Mais on avait beau faire, les nouveaux services ne pouvaient pas être vendus beaucoup plus chers que ceux que l’on trouvait librement dans la campagne, ce qui faisait fort peu comparé aux somptueuses rentes auxquelles on s’était habitué. Par ailleurs, en proposant les nouveaux services au sein du château, les clients désertaient les anciens, plus coûteux et moins attrayants et les recettes nouvelles ne compensaient pas, loin s’en faut, les pertes sur les services classiques qu’offrait la veille demeure.
D’autres Seigneurs, moins engagés dans la dépense ou le plus souvent sans autre choix, introduisirent carrément la demie-pension : on abaisse le pont-levis le matin après le lever du soleil, quartier libre, et on le relève peu avant la tombée de la nuit, tout ceci évitait au moins les noyades dans les douves, assez facheuses pour l’image. Certes, en laissant les clients gambader à l’extérieur pour la journée, on courrait le risque de ne plus les voir revenir mais on pouvait espérer économiser alors sur les coûteuses infrastructures et le personnel du château, devenus inutiles.


Corfe Castel, Dorcet

Mais de toutes façons, chacun sait qu’un château coûte très cher à entretenir (surtout la toiture et les douves) de plus, de par la conception même des bâtiments et le style du service, l’accueil des hôtes coûte très cher en chauffage et nécessite un grand nombre de serviteurs et, rapidement, le chiffre d’affaire ne permit plus d’assurer la solde des serviteurs ni l’entretien de ces coûteuses demeures qui commencèrent à se fissurer.
De nombreux Seigneurs durent se résigner à fermer leur château froid et déserté, d’autres réussissent encore à subsister, vaille que vaille, abandonnant toutefois de grandes ailes de leurs demeures aux corbeaux, se séparant de leur armée de serviteurs dévoués et, comble de deshonneur, s’alliant avec leurs ennemis héréditaire d’hier.

Un des Seigneurs, fournisseur du Roy de longue date, sût faire appel à sa générosité à de nombreuses reprises, mais pour combien de temps encore, car on murmure à la cour ...

Le plus grand des Seigneurs qui avait accumulé une richesse considérable, après avoir dû liquider les trois quarts de ses armées, s’est décidé carrément à acquérir de nombreuses petites auberges mais il doit le faire avec doigté et discrétion pour ne pas faire fuir brutalementles derniers hôtes qui continuent, bien gentiment (ou grâce aux énormes boulets qu’on a eu la précaution d’attacher à leurs chevilles prétendent quelques mauvaises langues) à limiter le déficit de son château dont il doit réduire néanmoins le train de vie jour après jour.


Windsor Castle
Plus vaste chateau inhabité du monde

Fin ... de l'épisode.



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